Roczniki Filozoficzne

Volume 13, Issue 3, 1965

Kazimierz Kłósak
Pages 5-30

Rapport Entre Philosophie de la Nature et Métaphysique dans la Conception des Néo-Scolastiques Polonais Contemporains

1. Les opinions avancées au cours des vingt dernières années par les néo-scolastiques polonais au sujet de la relation entre la philosophie de la nature ou cosmologie et la métaphysique forment plusieurs groupes. L’un d’eux, c’est le groupe d’auteurs tels que Jerzy Kalinowski et le P. Albert M. Krąpiee OP qui, d’une manière ou d’une autre, défendent la thèse de l’unité de la philosophie. La connaissance du domaine de la cosmologie néo-scolastique, réduite à l’extrême du reste, est incorporée par eux au tronc même de la philosophie, conçue unitairement, et confondue par eux avec la métaphysique. Quelques néo-scolastiques polonais, entre autres le P. Franciszek Kwiatkowski SJ, les Ab. Ab. Marian Kowalewski, Stanisław Mazierski et Stanisław Kamiński laissent entendre, explicitement ou implicitement, que la philosophie de la nature est de la métaphysique spéciale. Enfin, F Ab. Stanisław Adamczyk soutient que la connaissance cosmologique est une métaphysique appliquée. Pour approfondir le type épistémologique et méthodologique qu’est la cosmologie néo-scolastique convenablement conçue, on s’est adressé également, depuis la guerre, aux travaux de Jacques Maritain; ce dernier maintient la distinction spécifique entre la discipline en cause et la métaphysique (Ab. Kazimierz Kłósak). 2. Quelle valeur présentent ces diverses positions? Kalinowski n’a pas été en mesure de prouver que la connaissance relevant de la cosmologie néo-scolastique appartient au tronc de la philosophie puisqu’il n’a pas su montrer effectivement la vérité de la thèse avancée par lui comme fondement de preuve, à savoir celle de l’unité de la philosophie-métaphysique. Il ne l’a pas démontré ne serait-ce que pour la raison que, même s’il était exact que l’objet formel de la métaphysique est l’être contingent en tant qu’être contingent comme il l’affirme, il n’en découlerait pas, pour autant, qu’une des fins de la métaphysique est l’interprétation parfaite de l’essence de l’être contingent comme tel, en montrant les causes matérielle et formelle. Ce qui justifie, en effet, l’attribution d’une composition hylomorphique ce n’est pas contingent comme tel mais bien le fait „philosophique” que l’essence d’un groupe d’êtres contingents, purement matériels ou à la fois matériels et spirituels, n’est pas simple. L’unité de la philosophie-métaphysique, conduisant à supprimer l’autonomie épistémologique et méthodologique de la philosophie de la nature, Kalinowski ne l’a pas prouvée pour cette autre raison non plus qu’il n’a montré la liaison organique entre les thèses philosophiques que dans un domaine très étroit, limité en effet à ces thèses seules dans le cadre desquelles, partant des êtres contingents, on parvient à l’idée d’existence de l’être nécessaire — Dieu. Des déclarations du P. Krąpiec on en a examiné deux: l’une exprimée dans l’ouvrage Realizm ludzkiego poznania (Réalisme de la connaissance humaine), Poznań 1959, p. 54, l’autre contenue dans la première partie, son oeuvre, du livre écrit en collaboration avec l’Ab. Kamiński, Z teorii i metodologii metafizyki (Théorie et méthodologie de la métaphysique), Lublin 1962, pp. 270—271. Le premier de ces textes pose que la connaissance dans la philosophie néo-scolastique de la nature a un caractère métaphysique, la cosmologie en effet fait partie intégrante de l’unique, au sens analogique, et indivisible science qu’est la métaphysique de sorte qu’une différenciation de la philosophie de la nature sur la base de son objet a un caractère secondaire et inessentiel, fondé qu’il est sur la mise en relief d’un état général des êtres. Cette conception n’est pas recevable car la mobilitas qui, n’étant aucunement un mode général d’être est l’unique perspective formelle que l’on puisse prendre en considération dans l’examen de la proposition ici analysée, ne justifie en aucune manière l’identification de la connaissance propre à la cosmologie avec la connaissance métaphysique. Il en est ainsi parce que les êtres soumis au mouvement au sens strict ne peuvent être, comme tels, objet d’étude métaphysique puisqu’ils ne sont« absolument pas pris en considération dans son objet formel qui est l’être en tant qu’être. Dans le second texte le P. Krąpiec, après avoir énuméré parmi les „éléments” composant l’être au plan métaphysique la matière première et la forme substantielle, pose la question si l’on ne peut formuler l’objection que l’analyse de ces deux „éléments” appartient à la philosophie de l’être matériel et non à celle de l’être en tant qu’être. Le P. Krąpiec répond qu’une telle objection serait sans objet car par -être en tant qu’être il faut entendre non une nature „détachée” mais bien „l’être en tant que possédant existence concrète” ou, plus précisément, les êtres matériels concrets, directement perceptibles. Cette forme d’argumentation non plus ne saurait nous convaincre. Si l’expression „être en tant qu’être” équivalait à l’expression „être en tant que doué d’existence concrète”, on devrait proscrire la première de ces expressions comme ne possédant le contenu différent de la deuxième. Or, dans une telle situation, on baserait la métaphysique, à prendre la chose strictement, non sur l’idée de l’être en tant qu’être mais sur l’idée de ce qui existe concrètement dans le domaine des êtres matériels. Ce qui a conduit le P. Krąpiec sur la voie d’une métaphysique du concret c’est d’abord sa façon d’entendre l’abstraction. Selon lui, elle „détache certaines parties du tout dans le but de mieux connaître ces parties ou même des éléments isolés quelconques”. Il est évident que l’abstraction ainsi conçue ne nous met pas en mesure de distinguer l’aspect d’être quelque chose d’existant, aspect qui peut constituer l’unique cor tenu propre de l’expression „être en tant qu’être”. Ce que cette expression désigne ne constitue pas en effet une partie qui se laisserait abstraire, détacher d’un tout car tout ce qui est, est être. L’aspect d’être quelque chose d’existant ne peut être isolé qu’au moyen de l’abstraction telle que l’a définie l’Ab. Louis de Raeymaeker dans sa Metaphysica generalis, Louvain 1935, vol. I, p 20, où l’on saisit l’entier objet de connaissance sous un aspect déterminé à l’exclusion de tous ses autres aspects, identiques au premier dans la réalité mais différents mentalement ou logiquement. A partir de cette définition nous pouvons en tout ce qui, d’une manière quelconque, est quelque chose et non néant, écarter toutes déterminations comme telles, caractéristiques à des objets concrets et des objets abstraits, pour nous arrêter uniquement à l’aspect le plus fondamental de ces objets, celui d’être quelque chose d’existant. Ce faisant, on n’écarte pas l’être quand on ne prend pas en considération les déterminations indiquées comme telles puisqu’on en tient précisément compte pour autant qu’elles sont être. Mais le P. Krąpiec, lui, ne connaît pas une telle voie menant à l’être en tant qu’être. Ce qui l’a de plus incliné à identifier l’être comme tel à „l'’être en tant qu’existant concrètement” c’est son interprétation personnelle des vues du P. L. B. Geiger OP sur le rôle de ce qu’on appelle séparation métaphysique au sens strict. Le professeur lublinien pense en effet qu’à la base de l’idée de l’être en tant qu’être apparaît la séparation mentionnée qui, distinguant à l’aide de jugements négatifs „prédicatifs” „l’idée-de l’être en tant qu’être de jugements existencieis donnés affirmant l’existence d’êtres, déterminés", „ne disjoint pas l’être en tant qu’être d’avec les êtres concrets". Avançant cette affirmation le P. Krąpiec oublie que si, selon le commentaire de St. Thomas au De Trinitate de Boèce, la séparation mentionnée doit s’exprimer en un véritable jugement négatif „prédicatif", elle ne peut se rapporter qu’ à ce qui est séparé de soi dans la réalité (in re, secundum re),alors que l’entité n’est pas séparée du concret des choses car tout ce qui les constitue est être. Ce n’est donc pas au moyen de l’abstraction strictement entendue, réalisée dans le cadre de jugements négatifs „prédicatifs" que nous pouvons isoler par la pensée l’être en tant qu’être. St. Thomas n’affirme nulle part dans le commentaire en question que la connaissance de l’être en tant qu’êtie se fait au moyen de l’abstraction au sens strict. Rien d’étonnant en cela puisqu’elle ne peut en fait établir que ce qu’exprime la proposition du P. Krąpiec que „être en tant qu’être, autrement dit l’être en tant qu’objet de la métaphysique n’est pas [...] l’être matériel en tant que tel — car seraient aiors exclus les êtres non matériels; ce n’est pas non plus l’être immatériel comme tel — car seraient alors exclus les êtres matériels; ce n’est pas la substance en tant que substance, ni l’accident en tant qu’accident; cet objet ne peut être le cheval en tant que cheval, ni l’homme en tant qu’homme, ni l’idée en tant qu’idée". (Teoria ana- logii bytu: Théorie de l’analogie de l’être, Lublin 1959, p. 138). Il est dommage que, formulant ee& justes remarques, le P. Krąpiec ne se soit pas aperçu que, quand nous établissons au moyen de la séparation au sens strict que „l’être [...] en tant qu’être n’est pas indissolublement lié à telle ou telle catégorie ou mode d’existence", nous sommes déjà en possession de l’idée de l’êtie en tant qu’être et ne faisons, que préciser davantage à quoi l’être en tant qu’être ne se réduit pas. Si le P. Krąpiec avait tenu compte de cette circonstance il n’aurait peut-être pas eu de sérieuses difficultés à admettre la thèse que s’il existe une voie pour arriver à la connaissance de l’être en tant qu’être, avant la détermination ultérieure de ce à quoi l’être ne se réduit pas, cette voie ne peut être que la séparation au sens large, en fait une espèce particulière d’abstraction grâce à laquelle dans l’idée, partant secundum primam operationem (inteile- ctus) potest separare [...] [aliqua] quae secundum rem separata non sunt. {In librum Boëtii de Trinitate expositio, cura et studio P. Fr. Mannis Calcaterra OP, lect. II, qu. I [VJ, p. 3, Opuscula théologien, vol. II, Taurini-Romae 1954, p. 371). Les néo-scolastiques polonais qui placent la philosophie de la nature au rang delà métaphysique spécial ne manifestent pas ces tendances réductionnistes que l’on note chez Kalinowski et chez le P. Krąpiec. C’est à n’en pas douter un élément positif. Pourtant faire de la cosmologie une métaphysique particulière peut facilement conduire à la perte de la perspective épistémologique propre, remplacée par le point de vue métaphysique (étude de l’être soumis au mouvement au sens strict sous l’angle de l’être) et la pousser à s’attacher à des thèses métaphysiques qui lui sont étrangères, celles notamment de la première cause efficiente et de la dernière cause finale du cosmos. Indépendamment de ce danger il faut encore remarquer que la philosophie de la nature dont la problématique se concentre traditionnellement autour de l’ens mobile ne saurait constituer aucune métaphysique spéciale: quand nous pen- soïis, en effet, à l’être en ta\nt qu’être, nous ne prenons en considération, ni directement ni indirectement, l’être soumis au mouvement physique. Les vues de l’Ab. Adamczyk, qui fait de la cosmologie une métaphysique appliquée, présentent le même danger presque que la position dont on vient de parler. Une fois de plus on risque d’introduire dans la philosophie de la nature des thèses métaphysiques et une perspective épistémologique métaphysique. Devons-nous donc, en présence de ce danger concevoir la philosophie de la nature comme de la métaphysique appliquée? Une telle nécessité ne s’imposerait que si l’on ne pouvait faire de la cosmologie autrement qu’en partant de la métaphysique. Or une telle construction „par le haut44 n’est nullement indispensable puisque l’on peut aussi bien la développer à partir „d’en bas", sans appel préalable à la métaphysique. A supposer même que l’on choisisse la voie „par en haut", légitime du reste, il faudra adapter strictement les formules métaphysiques à l’ordre physique, ce qui donnera en fin de compte non une métaphysique appliquée mais une authentique philosophie de la nature, celle-là même à laquelle on serait parvenu par „en bas".